Le
TURENNE abat rapidement et ce qui aurait pu être un abordage, dangereux, peut même
un naufrage, se transforma en un frôlement brutal, mais sans graves conséquences.
Le jas de l’ancre de tribord du TURENNE accroche les haubans d’artimon du
3-mâts belge, dont la vergue de brassayage déchire le bâbord du gaillard du
TURENNE. Nous mettons en panne, faisons des signaux lumineux, mais en vain, le
Karl Beck continue sa route.
Notre
ami Louis Lacroix qui relate cet incident dans Les derniers Grands voiliers
et le qualifie de mystérieux, n’en a sans doute connu que la version
officielle. Boncoeur qui a été témoin de l’accident, s’en tient à ce
qu’il a vu et il est convaincu que le 3-mâts belge naviguait sans feux : il
ne les a allumés qu’au moment où il a eu risque d’abordage.
Un 2ème incident, celui la
malheureusement tragique, devait endeuiller cette traversée : à 600 milles
dans l’W.S.W de Melbourne, le capitaine fut enlevé par un paquet de mer, dans
un coup de vent cependant que le TURENNE fuyait sous sa misaine et ses 4
huniers. Après dîner, le capitaine donne l’ordre de serrer le petit hunier
volant. Le second lui fait remarquer, mais en vain que le navire se comporte
bien. Quand le hunier fut serré avec les 2 bordées, le navire se mit à
embarder : 2 hommes avaient peine à le tenir. Un paquet de mer arrache la
baleinière bâbord qui retombe sur le panneau arrière. Le capitaine insiste
pour qu’on essaie de la sauver. Devant le danger, les hommes refusent, les
officiers s’y emploient. Boncoeur a la précaution de s’amarrer avec un bout
du bras de grand perroquet. Un énorme paquet de mer enlève le capitaine qui se
trouve sur le roof arrière. L’équipage est roulé sur la dunette. Après
s’être ébroué, un des matelots se rappelle que je suis amarré. On réussit
à me ramener à bord, à demi noyé. Quand je fus ranimé, Malo Gourio vint
m’informer que le capitaine avait été enlevé, sans qu’il soit possible de
faire quoi que ce soit pour le trouver.
Quelques
jours après, le MARECHAL DE TURENNE était à Melbourne et la traversée de
retour fut sans incident. Boncoeur débarque à Belfast le 21 juillet 1910. Il
suit les cours à St Brieuc et est reçu C.L.C. à Paris en décembre 1910
Ce
voyage du ‘TURENNE fut pour lui la fin des voyages sur les voiliers.
Il
continue sa carrière sur les vapeurs, Il navigue à la Transat, puis commande
à la Maison Dreyfus le DELMAS VIELJEUX. Il navigue ensuite sur les pétroliers
de la Cie Navale de Navigation. Après un commandement sur le pétrolier
FRIMAIRE de Berre au Golfe du Mexique et retour, il prend sa retraite au début
de l’année 1940.
ANNEXE
LE MARECHAL DE
TURENNE
d’après
Louis Lacroix, dans les Derniers Grands Voiliers>
En 1909 le navire eut un abordage resté
quelque peu mystérieux. Il avait quitté New York avec du pétrole en caisses
pour Melbourne, le 24 septembre 1909. Le 27 octobre, il faisait route par forte
brise d’Est-Nord-Est, bâbord amures, cap au Sud-Sud-Est, filant environ 10 nœuds.
A 7 heures et demie du soir, un feu qui semblait vert fut aperçu à courte
distance. Le MARECHAL DE TURENNE laissa porter aussitôt mais à peine la manœuvre
était-elle commencée, qu’une énorme masse blanche apparut à l’avant, à
quelques mètres. C’était le phare de misaine d’un des grands mâts,
courant presque vent arrière. Quelques secondes après on vit le grand phare et
au moment où le mât d’artimon apparaissait à son tour, le bossoir bâbord
du MARECHAL DE TURENNE vint heurter violemment la dunette de l’autre navire.
Ce fut dans la nuit noire un beau fracas que le heurt de ces deux voiliers
s’entrechoquant à 10 nœuds de vitesse par grosse mer et forte brise. Les
deux navires heureusement étaient presque parallèles l’un et l’autre et
aucun d’eux n’eut d’avaries graves, croit-on, car le 3-mâts inconnu ne
s’arrêta pas et on n’eut jamais de nouvelles de lui. MARECHAL DE TURENNE
après avoir attendu toute la nuit sur place, dans le cas où son abordeur
aurait eu besoin de secours, reprit sa route et fut réparé à Melbourne.
Avant
l’arrivée en ce port, le capitaine avait été enlevé par un violent coup de
mer et disparut sans qu’on puisse tenter quoi que ce soit pour le sauver.
MARECHAL
DE TURENNE fit son dernier retour à Cardiff et revint de ce port en remorque
sur la Martinière le 22 octobre 1921 pour être démoli en 1928.