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BONCOEUR Guillaume

Boncoeur est né le 31octobre 1886 à Pleslin, (Côtes d’Armor), d’une famille de marins. Son père avait quitté la navigation à 21 ans après son 3ème naufrage qui avait fait 17 victimes sur 21 hommes d’équipage. Un de ses grands-pères, Guillaume Cotillard, avait navigué sur le bateau de Surcouf. Fait prisonnier au cours d’un combat, il resta 7 années prisonnier sur les pontons anglais, de sinistre mémoire. Ceci explique sans doute que, bien qu’ayant été élevé loin de la côte, notre ami ait abandonné à 16 ans ses études classiques pour répondre à l’appel de la mer
Le 7 mars 1903, il embarquait comme novice sur le paquebot LA FAYETTE de la Cie Générale Transatlantique. Après 15 mois de cette navigation, impressionné sans doute par les réflexions des vieux matelots, qui lui disaient : ça veut être Capitaine, ! Ça ne sait même pas faire un nœud pour se pendre ! Si tu veux être marin, navigue à la voile !
Et le 20 mars 1904 Boncoeur embarquait comme matelot léger sur le 4-mâts CHAMPIGNY en rade de Brest, commandé par Jacques Bogu. Voyage de San Francisco, Sydney, Cardiff sans histoire. Mauvaise traversée d’aller, 150 jours de Brest à Frisco dont un mois pour doubler le Cap Horn. Notre ami Boncoeur, dans ses souvenirs nous parle du second capitaine du CHAMPIGNY, officier non breveté, mais excellent marin, Marc Rozé, de St Briac, qui fut pour lui un excellent guide et lui apprit le meilleur de son métier de marin, dixit Boncoeur. !
Au retour, en juillet 1905, notre ami reste à terre pour aller au cours. Il est reçu élève de la Marine Marchande en juin 1907 et part au service en octobre sur le BRENNUS, bateau école des aspirants de réserve, d’où il sort en octobre 1907. A cette époque, les embarquements comme officier, étaient rares. En attendant, Boncoeur navigue comme timonier sur le paquebot BRETAGNE, sous les ordres du brave nègre Pompeius. Presque tous les timoniers étaient des élèves de la Marine Marchande.
Le 25 avril 1908, il embarque 2ème lieutenant sur le 3-mâts LEON BLUM : 2ème lieutenant, il gagne 60 flancs par mois, matelot il en gagnait 5 ! La belle époque !!! Voyage sans histoire.
Au retour, notre camarade repart en qualité de 1er lieutenant sur le 3-mâts barque MARECHAL DE TURENNE, capitaine Yves Perrot, second Malo Gourio (neveu du grand Gourio). Le navire, chargé de craie, dans la Tamise, pour Bayonne (en face New York, dans l’estuaire de l’Hudson,). A Bayonne, il prend 72000 caisses de pétrole pour l’Australie. Il fait route par le Cap de Bonne Espérance, beaucoup de navigation vent arrière. La traversée d’aller fut marquée par un incident grave : Dans les alizés, dans l’Atlantique le TURENNE filait au plus près, bon plein, bâbord amures. Le soir entre 18 et 20 heures, par nuit noire, l’homme de bossoir crie : navire par tribord ! L officier de quart se penche à l’extérieur,, voit un feu rouge tout près et la silhouette d’un 3-mâts carré, le 3-mâts belge KARL BECK ! L’abordage était inévitable. L’officier de quart, sans hésiter, commande tribord toute et largue les grands bras sous le vent. Le TURENNE abat rapidement et ce qui aurait pu être un abordage, dangereux, peut même un naufrage, se transforma en un frôlement brutal, mais sans graves conséquences. Le jas de l’ancre de tribord du TURENNE accroche les haubans d’artimon du 3-mâts belge, dont la vergue de brassayage déchire le bâbord du gaillard du TURENNE. Nous mettons en panne, faisons des signaux lumineux, mais en vain, le Karl Beck continue sa route.
Notre ami Louis Lacroix qui relate cet incident dans Les derniers Grands voiliers et le qualifie de mystérieux, n’en a sans doute connu que la version officielle. Boncoeur qui a été témoin de l’accident, s’en tient à ce qu’il a vu et il est convaincu que le 3-mâts belge naviguait sans feux : il ne les a allumés qu’au moment où il a eu risque d’abordage.
Un 2ème incident, celui la malheureusement tragique, devait endeuiller cette traversée : à 600 milles dans l’W.S.W de Melbourne, le capitaine fut enlevé par un paquet de mer, dans un coup de vent cependant que le TURENNE fuyait sous sa misaine et ses 4 huniers. Après dîner, le capitaine donne l’ordre de serrer le petit hunier volant. Le second lui fait remarquer, mais en vain que le navire se comporte bien. Quand le hunier fut serré avec les 2 bordées, le navire se mit à embarder : 2 hommes avaient peine à le tenir. Un paquet de mer arrache la baleinière bâbord qui retombe sur le panneau arrière. Le capitaine insiste pour qu’on essaie de la sauver. Devant le danger, les hommes refusent, les officiers s’y emploient. Boncoeur a la précaution de s’amarrer avec un bout du bras de grand perroquet. Un énorme paquet de mer enlève le capitaine qui se trouve sur le roof arrière. L’équipage est roulé sur la dunette. Après s’être ébroué, un des matelots se rappelle que je suis amarré. On réussit à me ramener à bord, à demi noyé. Quand je fus ranimé, Malo Gourio vint m’informer que le capitaine avait été enlevé, sans qu’il soit possible de faire quoi que ce soit pour le trouver.
Quelques jours après, le MARECHAL DE TURENNE était à Melbourne et la traversée de retour fut sans incident. Boncoeur débarque à Belfast le 21 juillet 1910. Il suit les cours à St Brieuc et est reçu C.L.C. à Paris en décembre 1910
Ce voyage du ‘TURENNE fut pour lui la fin des voyages sur les voiliers.
Il continue sa carrière sur les vapeurs, Il navigue à la Transat, puis commande à la Maison Dreyfus le DELMAS VIELJEUX. Il navigue ensuite sur les pétroliers de la Cie Navale de Navigation. Après un commandement sur le pétrolier FRIMAIRE de Berre au Golfe du Mexique et retour, il prend sa retraite au début de l’année 1940.

ANNEXE

LE MARECHAL DE TURENNE

d’après Louis Lacroix, dans les Derniers Grands Voiliers En 1909 le navire eut un abordage resté quelque peu mystérieux. Il avait quitté New York avec du pétrole en caisses pour Melbourne, le 24 septembre 1909. Le 27 octobre, il faisait route par forte brise d’Est-Nord-Est, bâbord amures, cap au Sud-Sud-Est, filant environ 10 nœuds. A 7 heures et demie du soir, un feu qui semblait vert fut aperçu à courte distance. Le MARECHAL DE TURENNE laissa porter aussitôt mais à peine la manœuvre était-elle commencée, qu’une énorme masse blanche apparut à l’avant, à quelques mètres. C’était le phare de misaine d’un des grands mâts, courant presque vent arrière. Quelques secondes après on vit le grand phare et au moment où le mât d’artimon apparaissait à son tour, le bossoir bâbord du MARECHAL DE TURENNE vint heurter violemment la dunette de l’autre navire. Ce fut dans la nuit noire un beau fracas que le heurt de ces deux voiliers s’entrechoquant à 10 nœuds de vitesse par grosse mer et forte brise. Les deux navires heureusement étaient presque parallèles l’un et l’autre et aucun d’eux n’eut d’avaries graves, croit-on, car le 3-mâts inconnu ne s’arrêta pas et on n’eut jamais de nouvelles de lui. MARECHAL DE TURENNE après avoir attendu toute la nuit sur place, dans le cas où son abordeur aurait eu besoin de secours, reprit sa route et fut réparé à Melbourne. Avant l’arrivée en ce port, le capitaine avait été enlevé par un violent coup de mer et disparut sans qu’on puisse tenter quoi que ce soit pour le sauver.

MARECHAL DE TURENNE fit son dernier retour à Cardiff et revint de ce port en remorque sur la Martinière le 22 octobre 1921 pour être démoli en 1928.